07/10/2025
Depuis quelques années, la Creator Economy s’impose comme un terme incontournable.
Derrière cette expression, il ne s’agit pas seulement d’une vague de créateurs de contenus diffusant vidéos, podcasts ou newsletters.
C’est une véritable transformation de la manière dont l’information, les idées et les récits circulent dans nos sociétés.
Longtemps, les médias traditionnels détenaient un quasi-monopole sur la production et la diffusion de contenus.
Aujourd’hui, ce paysage a éclaté : une multitude de voix s’élèvent, façonnent l’opinion, fédèrent des communautés.
Plutôt que de réduire la Creator Economy à un simple phénomène de divertissement ou de marketing d’influence, il est temps de la considérer comme ce qu’elle est devenue : un nouvel écosystème médiatique.
LA MUTATION DU PAYAGE MÉDIATIQUE
1. Du monopole médiatique à la pluralité de voix
Pendant des décennies, la presse, la télévision et la radio contrôlaient les canaux de diffusion.
Le public recevait l’information de manière verticale, avec peu de possibilités de retour.
Aujourd’hui, l’équation est renversée : tout individu disposant d’un smartphone et d’une connexion peut potentiellement devenir un acteur médiatique.
Cette multiplicité de voix fragmente le paysage, mais enrichit aussi la diversité des points de vue.
2. La fin du modèle descendant
Le modèle traditionnel était basé sur un émetteur puissant et une audience passive.
Avec la Creator Economy, la communication devient conversationnelle.
Les publics interagissent, commentent, répliquent, parfois même co-produisent les contenus.
On ne reçoit plus seulement un récit : on y prend part.
3. La création comme mode de diffusion d’opinions
Les créateurs ne se contentent pas de divertir. Ils apportent une lecture du monde, partagent des convictions, interrogent des tendances.
En cela, ils occupent une place similaire à celle des éditorialistes ou chroniqueurs d’hier, mais avec un langage plus direct et une proximité accrue avec leur audience.
LES CRÉATEURS COMME ACTEURS MÉDIATIQUES À PART ENRIÈRE
1. Du contenu au rôle éditorial
Le créateur choisit ses sujets, son ton, son angle.
Ce travail éditorial, autrefois réservé aux rédactions, est désormais exercé à une échelle individuelle.
Cela confère aux créateurs une responsabilité nouvelle : ils ne produisent pas seulement, ils orientent et hiérarchisent.
2. La fidélisation comme audience
Là où un média traditionnel compte sur la régularité de ses lecteurs ou téléspectateurs, le créateur s’appuie sur la fidélité d’une communauté.
La relation est plus intime, plus directe, et souvent plus engagée.
Cette fidélité transforme une audience volatile en véritable capital relationnel.
3. L’agenda-setting des créateurs
Les médias ont longtemps fixé l’agenda des débats publics.
Aujourd’hui, certains créateurs influencent à leur tour ce qui fait l’actualité, en mettant en lumière des thèmes ou des préoccupations qui, autrement, seraient restés invisibles.
Leur rôle n’est plus seulement de commenter : il est de créer le sujet.
UN ÉCOSYSTÈME AUX RÈGLES INTERDITES
1. Les algorithmes comme programmateurs
Dans l’univers traditionnel, les rédacteurs en chef ou directeurs de chaînes décidaient de ce qui serait diffusé.
Dans la Creator Economy, ce rôle est en grande partie joué par les algorithmes des plateformes.
Ce sont eux qui conditionnent la visibilité, amplifient certains contenus et en relèguent d’autres.
Les règles du jeu sont donc mouvantes, opaques et profondément liées à la logique des plateformes.
2. Les communautés comme rédactions décentralisées
Chaque créateur est porté par une communauté active qui réagit, critique, propose, partage.
Ce collectif remplace en quelque sorte la salle de rédaction : il oriente le créateur, valide ses choix éditoriaux ou les conteste.
La ligne éditoriale n’est plus une décision solitaire mais un équilibre permanent entre l’intention du créateur et les attentes de son public.
3. Une hybridation des formats et des intentions
Là où les médias distinguaient clairement information, divertissement et opinion, la Creator Economy fusionne ces catégories.
Un même contenu peut à la fois informer, divertir et provoquer une réaction émotionnelle.
Ce brouillage des frontières redéfinit notre rapport au contenu : ce n’est plus tant la “nature” du message qui compte que le lien qu’il crée.
LES IMPLICATIONS POUR LE FUTUR DU PAYSAGE MÉDIATIQUE
1. Complémentarité plutôt que concurrence
Plutôt que d’opposer créateurs et journalistes, il est pertinent de voir émerger un modèle où les deux coexistent.
Les médias traditionnels gardent leur rôle d’analyse et de vérification, tandis que les créateurs apportent proximité, réactivité et diversité des voix.
2. Vers un modèle hybride
De plus en plus, on observe un dialogue implicite entre ces sphères : des médias qui s’inspirent des formats des créateurs, des créateurs qui adoptent des codes journalistiques.
L’écosystème médiatique devient hybride, mouvant et chacun emprunte aux méthodes de l’autre.
3. Les enjeux de crédibilité et de confiance
Si les créateurs sont désormais perçus comme des acteurs médiatiques, ils doivent aussi affronter les mêmes défis : la vérification de l’information, l’éthique de diffusion, la transparence vis-à-vis de leurs partenariats.
La confiance du public se gagne difficilement et peut se perdre très vite.
C’est sans doute le défi majeur qui attend cet écosystème.
La Creator Economy n’est pas un épiphénomène ou une mode passagère.
Elle constitue désormais un pilier du paysage médiatique, aux côtés des médias traditionnels.
En permettant une circulation horizontale et participative de l’information, elle contribue à redéfinir le contrat médiatique qui lie les émetteurs et les récepteurs.
Nous ne sommes plus seulement des spectateurs : nous faisons partie intégrante de cet écosystème, que ce soit en tant que créateurs, commentateurs ou simples membres de communautés.
L’avenir de l’information se joue donc moins dans l’opposition entre médias et créateurs que dans leur capacité à coexister et à inventer ensemble de nouvelles formes de narration.